...
(1.1)
Le désir de faire quelque chose
Spinoza nomme « conatus » l’effort par lequel « chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être (3) ». La formule ne livre pas facilement la clé de son mystère, et celui qui la découvre pour la première fois peine d’abord à se figurer ce en quoi peut bien consister la persévérance dans l’être, le type d’action concrète qu’elle appelle ou bien fait faire, les manifestations observables auxquelles elle peut donner lieu. Tous les éléments pourtant seront données pour se la figurer plus simplement, en développer toute la portée et, en effet, la voir alors à l’oeuvre partout dans le monde-- « chaque chose... ». Car le conatus est la force d’exister. Il est pour ainsi dire l’énergie fondamentale qui habite les corps et les met en mouvement. Le conatus est le principle de la mobilisation des corps. Exister c’est agir, c’est-à-dire déployer cette énergie. D’où cette énergie vient-elle? Il faut laisser la question au commentaire ontologique. Pour la solder à bon compte, moitié dans le vrai moitié dans le discutable, et puisqu’il va s’agir de choses humaines, on pourrait dire : l’énergie du conatus, c’est la vie. Et, cette fois-ci au plus près de Spinoza : c’est l’énergie du désir. Être c’est être un être de désir. Exister c’est désirer, et par conséquant s’activer—s’activer à la poursuite de ses objets de désir. Or la connexion du désir, comme effectuation de l’effort en vue de la persévérance, et de la mise en mouvement du corps est synthétiquement exprimée par le terme même de conatus. Car le verbe conore qui lui donne son origine signifie « entreprendre » au sens le plus général de « commencer ». Comme l’impetus, emprunté lui aussi à la physique de la Renaissance, le conatus désigne l’impulsion qui fait passer du repos au mouvement, cette énergie fondamentale qui produit l’ébranlement du corps et initie sa mise en route à la poursuite d’un certain objet. C’est l’histoire des sociétés qui à la fois invente et délimite la variété des entreprises possibles, c’est-à-dire des objests de désir licites. Reste qu’en toute généralité la liberté d’entreprendre, au sens du conatus, n’est pas autre chose que la liberté de désirer et de s’élancer à la poursuite de son désir. C’est pourquoi, sauf les restrictions qu’un corps social juge bon de mentionner, elle jouit d’une sorte d’évidence a priori. Constatant la licéité de la production des biens matériels, la déploration entreprneuriale, cette fois-ci au sens spécifiquement capitaliste du terme, ne cesse de puiser dans ce fonds pour contester que soit bridée « la liberté d’entreprendre ». « J’ai un désir conforme à la division du travail et on m’empêche de le poursuivre » proteste l’entrepreneur qui, invoquant la liberté d’entreprendre, ne parle pas d’autre chose que des élans de son conatus. Et il est vrai que, rapportée à la constitution ontologiquement désirante et active de chaque être, et sous les réserves précédemment faites, cette liberté-là est irréfragable.
(1.2)
Le désir de faire faire : patronat et enrôlement
C'est la liberté d’embarquer d’autres puissances dans la poursuite de son désir à soi qui ne l’est pas a priori. Or la profondeur de la division du travail se combine à l’ambition des hommes pour conduire le plus souvent à devoir poursuivre les désirs de production matérielle sur une base collective, donc au sens strictement étymologique collaborative. C'est ici que naît le rapport salarial. Le rapport salarial est l’ensemble des données structurelles (celles de la double séparation) et des codifications juridiques qui rendent possible à certains individus d’en impliquer d’autres dans la réalisation de leur propre entreprise. Il est un rapport d’enrôlement. Faire entrer des puissances d’agir tierces dans la poursuite de son désir industriel à soi, voilà l’essence du rapport salarial. Or, en tant qu’elle est un désir, l’entrerprise en général, et l’entreprise productive capitaliste en particulier, ne se conçoivent légitimement qu’en première personne et se doivent d’être assumées en première personne. En son fond, l’exclamation de l’entrepreneur se ramène à un « j’ai envie de faire quelque chose ». Fort bien, qu’il le fasse. Mais qu’il le fasse lui-même—s’il le peut. S’il ne le peut pas, le problème change du tout au tout, et la légitimité de son « envie de faire » ne s’étend pas à une envie de faire faire. Aussi le développement ambitieux de l’entreprise tel qu’il en appelle à des collaborations pose-t-il à entièrement nouveaux frais la question de leurs formes. C’est le problème de la participation politique à l’organisation des processus productifs collectifs et de l’appropriation des produits de l’activité commune qui est ici posé, en d’autres termes celui de la capture par le sujet du désir-maître.
Sous l’angle de la capture, il apparaît donc que l’enrôlement constitue la catégorie la plus générale, dont le salariat n’est qu’un cas. On peut pourtant avoir envie de nommer le subsumant d’après l’un de ses subsumés et appeler en toute généralité patronat le rapport sous lequel un désir-maître mobilise au service de son entreprise les puissances d’agir des enrôlés—le chef de guerre pour sa conquête, le croisé pour sa croisade, le souverain pour sa puissance souveraine (qui n’est pas la sienne mais celle de la multitude), le patron capitaliste pour son profit et ses rêves de réalisation industrielle. En un sens tout à fait général donc le patronat est un capturat, dont on peut voir des manifestations en bien d’autres domaines que l’exploitation capitaliste qui fait sa signification d’aujourd’hui : le dirigeant d’ONG s’approprie à titre principal le produit de l’activité de ses activistes, le mandarin universitaire celui de ses assistants, l’artiste de ses aides, et ceci bien en dehors de l’entreprise capitaliste, à la poursuite d’objets qui n’ont rien à voir avec le profit monétaire. Tous n’en sont pas moins des patrons, déclinaisons spécifiques du patron général, captateurs de l’effort (conatus) de leurs subordonnés enrôlés au service d’un désir-maître.
(1.3)
Intérêt, désir, mise en mouvement
La capture suppose de faire se mouvoir les corps au service de. La mobilisation est donc sa préoccupation constitutive. Car c’est finalement une affaire très étrange que des personnes « acceptent » ainsi de s’activer à la réalisation d’un désir qui n’est primitivement pas le leur. Et seule la force de l’habitude—celle de l’omniprésence des rapports patronaux sous lesquels nous vivons—peut faire perdre de vue l’immensité du travail social requis pour produire du « se mouvoir pour autrui » à d’aussi larges échelles. L’identité formelle du rapport d’enrôlement, envisagé à un certain niveau d’abstraction, n’ôte rien de la spécificité de contenues et de structures de ses diverses déclinaisons : le patronat capitaliste a ses « méthodes » bien à lui, qui ne sont pas les mêmes que le patronat croisé ou le patronat universitaire. Et sa méthode à lui, c’est d’abord l’argent. Mais la chose n’est-elle pas trivialement connue ?
Elle l’est sans doute mais la banalité de l’expérience à laquelle elle renvoie ne lui ôte pas pour autant une once de sa profondeur. Et peut-être le patronat capitaliste, en dépit de ses particularités, a-t-il la propriété de montrer mieux qu’aucun autre à quoi fonctionne le patronat tout court. Il fonctionne à l’intérêt c’est-à-dire au désir—car on pourrait ici paraphraser Spinoza : interesse sive appetitus. C’est le genre d’identité que tout le monde n’aime pas (n4). Ou plutôt dont tout le monde n’aime pas les conséquences. Car, posée l’essence désirante de l’homme, it suit, sous cette identité, que ses comportements doivent tous être dits intéressés—« mais que reste-t-il de la chaleur des relations vraies et de la noblesse de sentiment ? » demandent les amis du don désintéressé. Rien et tout. Rien si l’on tient à maintenir lordicus l’idée d’un altruisme pur, mouvement hors de soi dans lequel le soi renoncerait à tout compte. Tout, pour peu qu’on puisse résister à la réduction qui ne comprend « l’intérêt » que sur le mode du calcul utilitariste. L’intérêt c’est la prise de satisfaction, c’est-à-dire l’autre nom de l’objet du désir, dont il épouse l’infinie variété. Est-il seulement possible de nier qu’on soit intéressé à son désir ? Et si c’est impossible, comment refuser alors le statut d’intérêt à tous les objets du désir qui échappent à l’ordre du seul désir économique, comment nier qu’il y aille de l’intérêt dans la reconnaissance escomptée d’un don, dans l’attente de la réciprocité amoureuse, dans les démonstrations de munifiscence, dans l’encaissement des profits symboliques de grandeur ou de l’image charitable de soi, tout antant que dans la tenue d’un compte de pertes et profits mais « simplement » sur d’autres modes que le calcule explicite ? Il est vrai que c’est un autre désir, particulièrement puissant, le désir de l’enchantement, qui ne cesse de pousser au déni de l’intérêt, comme si les amis du désintéressement finissaient par être victimes de la réduction utilitatiste qu’ils avaient pourtant pour objet de combattre. Ausosaisis de la tâche exaltante d’endiguer la montée des eaux glacées du calcul, ils ont voulu réserver à leur ennemi le nom d’intérêt au seul motif que la théorie économique et la philosophie utilitariste le leur avaient désigné, et ceci au double prix de valider cetter désignation, donc d’en ratifier la réduction, et de renoncer par là même à l’etendue d’un concept dont rien ne justifiait d’abandonner les potentialités bien plus vastes (n5). Quelles que soient les voies qu’il emprunte, ces voies passerraient-elles sans cesse par tous les autrui possibles et imaginables, l’effort de la persévérance dans l’être come désir n’est jamais poursuivi qu’en première personne, aussi le poursuivant doit-il nécessairement être dit intéressé et ceci quand même son désir serait désir de donner, de scourir, de prêter attention ou d’offrir sa sollicitude. La généralité du désir accueille donc toute la variété des intérêts, depuis l’intérêt le plus ouvertement économique, expression historiquement construite de l’intérêt tel qu’il se réfléchit sous l’espèce du compte en unités monétaires, en passant par toutes les formes stratégisées et plus ou moins avouées à soi-même de l’intérêt, et jusqu’aux formes les moins économiques, voire les plus anti-économiques, de l’intérêt moral, symbolique ou psychique. Or les rapports sociaux du capitalisme puisent bien plus large dans cette gamme que ne l’imagine la lecture simplement économicisté, et ceci pourtant sans rendre impossible d’en offrir une vision conceptuellement unifiée... mais à la condition bien sûr de disposer d’un concept unificateur, par exemple celui du conatus, cette force désirante au prinicpe de tous les intérêt au principe de toutes les servitudes.
(1.4)
La vie nue et l’argent
Il est vrai cependant que, de tous les désirs dont il fait sa gamme, le capitalisme commence par l’argent. Ou plutôt la vie nue. La vie à reproduire. Or, dans une économie décentralisée à travail divisé, la reproduction matérielle passe par l’argent. Cette médiation-là, le capitalisme ne l’invente pas de toutes pièces : la division du travail, et l’échange monétaire marchand qui en est le corrélat à partir d’un certain seuil d’approfondissement, ont déjà des siècles de lente progression. Le capitalisme hérite de cet étagement de marchés formé dans la longue période, mais il ne peut prendre vraiment naissance qu’en fermant radicalement les dernières possibilités d’autoproduction individuelle ou collective (à petite échelle) et en portant à un degré inouï l’hétéronomie matérielle. La dépendence intégrale à la division marchande du travail est sa condition de possibilité. Marx et Polanyi, entre autres, ont abondamment montré comment se sont constituées les conditions de la prolétarisation, notamment par la fermeture des communes (enclosures), ne laissant d’autres possibilités, après avoir organisé le plus complet dénuement des hommes, que la vente de la force de travail sans qualité.
On peine un peu de devoir rappeler évidence si triviale et pourtant il le faut tant les fabrications contemporaines à base d’« enrichissement du travail », de « management participatif », d’« autonomisation des tâches » et autres programmes de « réalisation de soi » finissent par faire oublier cette vérité première du rapport salarial qu’il est d’abord un rapport de dépendance, un rapport entre agents dans lequel l’un détient les conditions de la reproduction matérielle de l’autre, et que tel est le fond inamovible, l’arrière-plan permanent de tout ce qui pourra s’élaborer par là-dessus. Sans s’y réduire, le rapport salarial n’est possible qu’en faisant de la médiation de l’argent le point de passage obligé, le point de passage exclusif du désir basal de la reproduction matérielle. Comme bon nombre de salariés ne cessent de l’expérimenter, tous les « plans » successifs que le rapport salarial capitaliste a su monter pour enrichir son décor, plans des intérêts plus raffinés au travail—avancement, socialisation, « épanouissement », etc.—peuvent à tout instant s’effondrer pour ne laisser seul debout que l’arrière-plan indestructible de la dépandance matérielle, fond brut de menace jetée sur la vie à nouveau nue.
Si la médiation de l’argent est le point de passage obligé, la dépendance au fournisseur d’argent est d’emblée inscrite dans les stratégies de la reproduction matérielle et comme sa donnée la plus fondamentale. Or dans une économie capitaliste, il n’y a que deux fournisseurs d’argent : l’employeur et le financier. Pour le salarié, ce sera l’employeur—plus tard éventuellement le banquier, mais marginalement et sur la foi d’une capacité de rembousement adosée à une rémunération préexistante. Pousée à son dernier degré, l’hétéronomie matérielle, à savoir l’incapacité de pourvoir par soi-même aux réquisits de sa reproduction comme force de travail (et tout simplement comme vie) et la nécessité d’en passer par la division du travail marchande rendent l’accès à l’argent impératif, et font de l’argent l’objet de désir cardinal, celui qui conditionne tous les autres ou presque. « L’argent est devenu le condensé de tous les biens », écrit Spinoza dans l’un des rares passages où il évoque la chose économique, « c’est pourquoi d’habitude son image occupe entièrement l’esprit du vulgaire puisqu’on n’imagine plus guère aucune espèce de joie qui ne soit accompagnée de l’idée de l’argent comme cause (n6) ». Qu’on n’aille pas croire que Spinoza, par le tranchant de sa formule, s’exclue du lot commun (n7) : avant de faire sa philosophie, il lui fallait polir des lentilles. Citoyen des Provinces Unies au sommet de leur puissances économique, il est bien placé pour savoir quelles mutations dans le régime des désirs et des affects collectifs induisent l’approfondissement de la division du travail et l’organisation de la reproduction matérielle sur une base marchande : l’argent, en tant que médiation quasi-exclusive des stragégies matérielles, « condensé de tous les biens », est devenu l’objet de métadésir, c’est-à-dire le point de passage obligé de tous les autre désirs (marchands).
(1.5)
La monnaie rapport, l’argent désir
L’occasion est incidemment donnée de faire la différence conceptuelle entre deux termes, la monnaie et l’argent, spontanément saisis comme équivalents et dont nul ne voit l’utilité de les dédoubler—pourquoi deux mots pour une chose ? Pepita Ould-Ahmed, l’une des premières à questionner vraiment cetter différence lexicale, y voit très justement l’effet d’appropriations disciplinaires distinctives : l’argent pour les anthropologues (et les sociologues), la monnaie pour les économistes, et finalement une simple variation de perspective sur ce qui demeure fondamentalement un seul et même objet (n8). On peut cependqnt prolonger l’analyse et qualifier conceptuellement cette « variation de perspective » en faisant de la monnaie le nom d’un certain rapport social et de l’argent le nom du désir qui prend naissance sous ce rapport.
L’apport décisif des travaux de Michel Aglietta et André Orléan(n9) aura consisté à défaire les appréhensions substantielles (une valeur intrinsèque) ou fonctionnelles (le moyen commode des échanges) de la monnaie, pour y voir un rapport social, institutionnellement armé, et d’une complexité semblable au rapport social « capital ». La monnaie n’est pas valeur en soi mais l’opérateur de la valeur. Elle est surtout fondamentalement l’effet d’une croyance collective en l’efficacité de son pouvoir libératoire puisque chacun, pour accepter le signe monétaire, tire argument de ce que les autres l’acceptent également et réciproquement. La production de cette acceptation commune d’un signe, en définitive parfaitement arbitrarie puisqu’il est en so fond dépourvu de toute valeur intrinsèque, est la question monétarie par excellence. Il faut donc mettre au jour la nature essentiellement fiduciaire de la monnaie, telle qu’elle est restée longtemps masquée par les illusions du fétishisme métallique, pour apercevoir que, hors tout caractère substantiel, elle est fondamentalement d’ordre relationnel, c’est-à-dire, à l’échelle de la société entière, un rapport social. Les institutions monétaires n’ont pas d’autre fonction que de produire et reproduire le rapport social de reconnaissance et de confiance partagées (n10) qui, refermé sur un signe quelconque, l’établit comme moyen de paiement universellement accepté. La monnaie n’est (re)produite, ou détruité, qu’avec ce rapport. C’est pourquoi, loin d’être réductible aux seules interactions bilatérales, elle s’impose (quand elle s’impose) avec la force d’une souverainté, à l’échelle de la communauté entière dont elle exprime d’une certaine manière la puissance collective(n11).
L’argent, c’est la monnaie saisie du côté des sujets. Si la monnaie est le moyen de paiement comme rapport social, l’argent est la monnaie comme objet de désir—ce « condensé de tous les biens dont il n’est plus guère de joie qui ne soit accompagnée de son idée comme cause ». L’argent est l’expression subjective, sous l’espèce du désir, du rapport social monétaire. Le rapport social produit l’acceptation commune du signe monétaire et en fait par là, du point de vue des individus, un objet de désir—ou de métadésir puisque l’équivalent général est cet objet particulier qui donne accès à tous les objets de désir (matériels). Il faut donc le travail du rapport et de toute son armature institutionnelle pour fournir à l’économie du désir structurée par la marchandise l’un de ses attracteurs les plus puissants. On voit bien et la différence et la complémentarité des registres analytiques respectifs de la monnaie et de l’argent, mécanismes sociaux et institutionnels de production d’une croyance-confiance collective d’un côté, sidération du désir individuel de l’autre. Et sans doute faut-il, non pas l’un des points de vue par l’autre, mais bien tenir les deux ensemble pour faire le tour complet de l’objet monétaire, très exactement à la façon dont Bourdieu récusait la fausse antinomie de l’objectivisme et du subjectivisme (n12), le premier ne voulant connaître que les structures en tenant pour négligeables les agents supposés en être les simples supports passifs, le second ignorant les structures au motif qu’il n’y aurait rien à part le sens vécu des individus, et les deux également incapables de penser l’expression des structures dans et par les psychés individuelles, la présence de structures au sein même des sujets mais sous forme de dispositions, de désir, de croyances et d’affects.
(1.6)
La servitude volontaire n’existe pas
La dépendance à l’objet de désir « argent » est le roc de l’enrôlement salarial, l’arrière-pensée de tous les contrats de travail, le fond de menace connu aussi bien de l’employé que de l’employeur. La mise en mouvement des corps salariés « au service de » tire son énergie de la fixation du désir-conatus sur l’objet argent dont les structures capitaliste ont établi les employeurs comme seuls pourvoyeurs. Si le premier sens de la domination consiste en la nécessité pour un agent d’en passer par un autre pour accéder à son objet de désir, alors à l’évidence le rapport salarial est un rapport de domination. Or d’une part l’intensité de la domination est directement proportionnée à l’intensité du désir du dominé dont le dominant détient la clé. Et d’autre part l’argent devient l’objet d’intérêt-désir hiérarchiquement supérieur, celui qui conditionne la poursuite de tous les autres désirs, y compris non-matériels, quand l’accumulation primitive a créé les conditions structurelles de l’hétéronomie matérielle radicale et que toute l’évolution ultérieure du capitalisme travaille à l’approfondir davantage : « La présupposition première de toute existence humaine, partant de toute histoire [est] les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir “faire l’histoire”. Mais pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore (n13). » Dans l’économie monétaire à travail divisé du capitalisme, il n’y a pas plus impérieux que le désir d’argent, par conséquent pas de plus puissante emprise que celle de l’enrôlement salarial.
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