자료: Le Devoir.com
14 décembre 2010
Fabien Deglise
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Le paradoxe est savoureux. À une époque où le «moi», sous toutes ses formes, ne s'est jamais autant montré, pour contemplation, dans les univers numériques, l'Association américaine de psychiatrie se prépare à retirer le narcissisme des troubles de la personnalité de son Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, livre de référence connu sous l'acronyme DSM chez les spécialistes de la santé mentale.
Étrange, le geste peut laisser croire qu'en se généralisant, ce goût prononcé pour l'étalage admiratif du «je», stimulé par les Facebook, Twitter mais aussi par les télé-réalités ou la démocratisation de la photo et de la vidéo numériques, serait finalement sur le point de perdre son statut de désordre affectif pour devenir une norme socialement acceptable. À moins que la mise à jour vise plutôt à mieux cerner un mal épidémique en profonde mutation dans la société depuis son entrée dans le manuel en 1980?
«Dans ces univers de création de sens, les gens sont invités quotidiennement à raconter leur histoire, et ils le font, dit l'anthropologue du Web Geoffroi Garon, président de la société de communication Pygmalion qui se spécialise dans les identités numériques. L'accès à cette technologie stimule effectivement un côté narcissique chez nous, mais nous ne sommes pas tous en train de devenir fous au point de normaliser ce qui était jusque-là considéré comme un trouble de la personnalité.»
Il y a quelques jours pourtant, le New York Times faisait la révélation avec un sourire en coin: les narcissiques vont bientôt être victimes de ce qu'ils détestent le plus, être ignorés, indiquait le quotidien en évoquant la nouvelle version du DSM, dont la cinquième édition est annoncée pour 2013. La définition de ce trouble de comportement, tout comme celle des personnalités borderline et histrionique, est fortement remise en question par le comité chargé de la mise à jour.
Pas question, toutefois, d'y voir la banalisation d'un comportement jusque-là exceptionnel, assure le psychologue Marc-Simon Drouin, professeur à l'Université du Québec à Montréal qui concède pourtant que le narcissisme, ou l'attention exclusive que l'on porte à soi-même, ne s'est jamais aussi bien porté dans notre société. «Et pas seulement par l'entremise des outils technologiques à notre portée, dit-il, mais aussi en raison de l'éclatement du tissu social» et des carences affectives qui viennent naturellement avec.
«Le DSM propose pour le moment des critères diagnostiques très limités pour identifier le trouble de personnalité narcissique qui, en 1980, était stéréotypé», résume le spécialiste des maladies de l'âme. À l'époque, les narcissiques flamboyants, dont Pierre Elliott Trudeau était un des fiers représentants, volaient en effet, dans ce livre de référence, la vedette à des formes plus nuancées de ce trouble et dont l'émergence a été favorisée par la modernité.
«La mise à jour du DSM devrait donc permettre des représentations plus fines de ce trouble, mais aussi de mieux comprendre la dynamique qui est à la source de ces comportements-là», ajoute M. Drouin. Comportements qu'un simple écran d'ordinateur, un téléphone intelligent, une tablette numérique branchée sur un réseau de communications sans fil permettent souvent de mettre en lumière.
Un trouble mis en réseau
«Ces technologies agissent comme un miroir», dit Geoffroi Garon. Miroir dans lequel les Narcisses 2.0 aiment désormais se regarder pour se trouver beaux. «Dans les nouveaux espaces de communication, on expose notre personnalité en construisant notre identité numérique, mais on prend aussi conscience de cette personnalité que l'on peut alors contempler chaque jour», dit-il. Comment? En envoyant ici une photo de nous en vacances, là en informant nos amis de notre positionnement géographique dans une ville, ou encore en se vantant d'être l'ami d'une chanteuse à la mode, en tenant un blogue sur nos passions, nos aventures, les repas que l'on mange, en envoyant plus de 100 micro-messages par jour... entre autres exemples.
Dans le bruit de la communication numérique, qui chaque jour produit des milliards de données, l'ego numérique en se surdimensionnant devient aussi une arme redoutable pour se faire entendre et surtout pour accéder à ce que la personne atteinte de trouble narcissique convoite le plus: la valorisation rapide dans une époque où le déficit de gratification s'est imposé au même rythme que l'individualisme et l'atomisation des rapports humains.
Cet égotisme n'est d'ailleurs pas toujours mauvais, croit M. Garon qui y voit là, pour une génération moins affectée par l'inhibition, une façon «de se faire connaître, de s'exposer pour avoir des contrats en montrant toutes les facettes de sa personnalité», dit-il. Avec parfois des risques de dérapages.
«Les moyens technologiques rendent l'attention immédiate, mais elle est aussi éphémère et pas très nourrissante», dit M. Drouin d'où la nécessité d'en redemander sur une base quotidienne même si cela peut à la longue faire apparaître de nouvelles pathologies, comme l'anxiété.
En Australie, par exemple, une styliste de renom expliquait récemment dans les pages d'Adelaide Now que la socialisation numérique, mais surtout le fait de vivre en permanence sous l'oeil d'un appareil photo transmettant des clichés à la pelle dans des comptes Facebook, était une source d'angoisse élevée pour les victimes de la mode, qui ont désormais très peur d'être photographiés dans la même robe rouge ou le même complet bleu que la veille. En résumé.
«Aux États-Unis, les jeunes angoissent aussi quand ils ne sont pas en ligne, parce qu'ils ont peur de manquer quelque chose», dit M. Garon. Et forcément, cela a plutôt tendance à rendre les psychologues lucides: «À l'avenir, on ne va pas manquer d'ouvrage», conclut Marc-Simon Drouin. Et ce, que le narcissisme dans sa forme descriptive actuelle soit retiré du DSM, ou pas.
psychologie, nouvelles technologies, réseau social, égoïsme
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